Les faits médiatiques entourant le braconnage d’animaux concernent en majorité les espèces terrestres et emblématiques. En revanche, peu d’actualités traitent du braconnage des espèces halieutiques, phénomène pourtant omniprésent dans le monde avec des conséquences sans précédents.
Plus communément connu sous les nominations de « pêche illégale » ou de « pêche illicite non déclarée et non réglementée» (pêche INN), le braconnage halieutique s’exerce principalement en haute mer et dans les zones côtières des pays où les contrôles sont moins présents et la réglementation moins forte. Il consiste au non-respect de la réglementation de pêche par le pratiquant (pêche en zone interdite, capture d’espèces protégées…) entrainant des préjudices sur le plan écologique, économique et social.
La pêche INN représente une véritable menace pour la durabilité des stocks halieutiques et des écosystèmes dont ils dépendent en contribuant à la disparition des espèces marines et en provoquant des dommages sur l’environnement marin. Les captures réalisées par la pêche INN sont estimées à 20% des captures halieutiques mondiales, soit entre 11 et 26 millions de tonnes de poissons pêchés[1]. Les engins de pêche utilisés sont souvent destructeurs pour les habitats marins (pêche aux explosifs, au cyanure…) et responsables de prises accessoires indésirables.
D’un point de vue économique, elle représenterait une perte située entre 10 et 23 milliards d’euros par an au niveau mondial[2].
Enfin, la pêche INN exerce également une pression sur les pêcheurs locaux qui respectent la réglementation et dont la pratique demeure leur principal moyen de subsidence. Cette pratique conduit donc à l’affaiblissement des communautés côtières, pleinement dépendantes de l’état de santé des écosystèmes.
Dans le cadre de la gestion de la pêche illégale, les Etats peuvent intervenir à trois niveaux : en assurant un suivi des navires, en contrôlant l’accès aux pêcheries et en faisant respecter la réglementation. Or, par manque de moyens techniques, humains ou financiers, le braconnage halieutique demeure une pratique difficilement contrôlable. C’est dans cette idée qu’a été développée l’application Global Fishing Watch, lancée en 2016 par trois ONG[3] afin que chaque individu puisse suivre en temps réel les bateaux de pêche du monde entier et signaler, le cas échéant, la présence de bateaux de pêche en zone protégée.
La pêche illégale en Méditerranée : exemple de pêche INN pratiquée au sein du Parc national des Calanques
En 2018, des faits de braconnage de poissons, poulpes et oursins ont été déclarés anonymement dans le périmètre du Parc national des Calanques, conduisant à l’ouverture d’un procès de quatre braconniers par le tribunal correctionnel de Marseille. Ces derniers avaient alors été condamnés à des peines allant de 15 à 18 mois de prison avec sursis, après avoir capturé illégalement durant quatre années près de 4,6 tonnes de poissons, 322 kg de poulpe et 16 800 douzaines d’oursins avant de les revendre à des restaurateurs.[4] En novembre 2019, le procès a de nouveau été ouvert sur demande du Parc national des Calanques qui souhaite obtenir réparation des préjudices écologiques pour les faits occasionnés. Le préjudice écologique est un principe juridique visant à la réparation d’un dommage causé à l’environnement par la personne responsable du préjudice, en application de l’article 1246 du Code civil. Il s’agit de la première fois en France qu’une instance réclame partie civile pour préjudice écologique. Le dommage écologique s’élève ainsi à plus de 450 000€, calculé à partir d’une méthodologie spécifique tenant compte à la fois de l’effectif d’animaux capturés mais également de l’indice de conversion trophique[5] de chaque espèce capturée. Les experts estiment qu’il faudrait 50 années pour réparer le préjudice écologique La justice devrait rendre son verdict le 6 mars 2020[6]. Affaire à suivre…
La mise en place de gardes-jurés en Méditerranée pour freiner la pêche illégale
Planète Mer et le CDPMEM[7] du Var ont décidé d’agir concrètement en faveur d’une gestion durable des ressources halieutiques par le lancement, en 2018, de PELA-Méd, Pêcheurs Engagés pour L’Avenir de la MEDiterranée, projet dont l’un des objectifs est la création de postes de gardes-jurés sur le territoire du Var[8] .
Le rôle des gardes-jurés est de participer à la police des pêches maritimes en venant en renfort aux agents publics, aux agents d’espaces protégés et aux prud’hommes de pêche à travers des missions variées : sensibilisation et information des usagers de la bande côtière, dissuasion des mauvaises pratiques, gestion des conflits d’usages divers…
Agents assermentés au service des pêcheurs professionnels, ils sont embauchés par les comités des pêches maritimes et des élevages marins régionaux ou départementaux (CRPMEM ou CDPMEM). Les gardes-jurés en poste sur les façades maritimes Atlantiques, Manche et Mer du Nord perçoivent leur rémunération par l’intermédiaire des cotisations professionnelles obligatoires et, le cas échant, par les licences de pêche, financées par les pêcheurs professionnels.
Or, dans le Var, la pêche artisanale aux petits métiers constitue la principale composante de la pêche professionnelle puisqu’elle représente 99% de la flottille de pêche, dont 88% des navires ont une taille inférieure à 10 mètres. L’absence de licence de pêche[9] représente donc un frein pour le CDPMEM du Var dans le cadre du financement des gardes-jurés.
Un état des lieux des gardes-jurés en France a d’ores et déjà été mené dans le cadre de PELA-Méd afin d’obtenir des retours d’expériences permettant d’identifier les différentes étapes à mener en vue de la création de postes de gardes-jurés et d’anticiper les freins associés à leur mise en place.
Pour en savoir plus sur le projet PELA-Méd
[1] http://www.fao.org/news/story/fr/item/318083/icode/
[2] http://www.fao.org/news/story/fr/item/318083/icode/
[3] https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/leonardo-dicaprio-soutient-une-application-pour-lutter-contre-la-peche-illegale-7784913463
[4] https://www.20minutes.fr/justice/2647263-20191108-prejudice-ecologique-contre-braconniers-ministere-public-soutient-parc-calanques-marseille-audience-historique
[5] Plus une espèce est haute dans la chaîne trophique et plus l’impact sur l’environnement est important.
[6] https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/marseille-le-parc-national-des-calanques-reclame-450-000-euros-a-des-braconniers-pour-prejudice-ecologique_3694949.html
[7] Comité Départemental des Pêches Maritimes et des Elevages Marins du Var
[8] http://www.planetemer.org/infos/actus/pela-m%C3%A9d
[9] (hors Autorisation européenne de pêche – AEP pour le thon rouge et espadon)